c’est une éditrice (lire sur son site Cousu main l’article que lui consacre Dominique Panchèvre) mais aussi une auteure que j’ai le plaisir d’accueillir ici en la personne de Caroline Gérard. J’ai deux livres Cousu main (le texte d’Ophélie Jaësan et celui d’Eric Pessan) et peux vous dire que quand elle s’y "colle", ça déménage.
Je ne présente plus les vases communicants ? Allez c’est parti
Micro fiction radiophonique et funéraire #1
(Le brise-lames) ------------> une voix
J’y étais, je peux vous le dire, c’est ce matin qu’il l’ont fait.
Je les ai vus, je passais par là.
En fait, je sortais du port pour aller à la pêche et ils étaient déjà sur le brise-lames. Ils devaient être un peu moins d’une dizaine, à peu près, sept/huit.
On savait que ça se ferait tôt ou tard. Il fallait bien qu’il revienne définitivement à Sète, Michel, qu’on lui trouve un endroit pour reposer en paix comme on dit dans les cimetières.
Lui, on peut dire qu’il en a passé du temps au brise-lames ! Vous vous souvenez quand il était plus jeune, quand il plongeait, les cigales de mer qu’il nous ramenait ? On en a fait des ventrées ensemble ! C’était une bonne époque, il paraissait heureux, même si de temps en temps il aimait un peu trop le Ricard et ça lui gâchait l’humeur. Mais on était tous pareils, on était jeunes. Alors parfois, on abusait un peu. Mais bon…
Alors, je vous le dis,
moi,
c’est pas par hasard qu’ils ont choisi le brise-lames.
Je les ai vus ce matin. J’en suis sûr, c’était eux. Son fils, tiens, je l’ai reconnu. Il lui ressemble, la même allure, vous vous rappelez comment il marchait, Michel ? Ben lui, c’est pareil, une démarche un peu comme ça, “chaloupée”, c’est le mot, hein. Grand, les épaules larges, tout comme son père. Les autres, je ne sais pas qui ils étaient. Je suppose qu’il devait y avoir sa nouvelle femme, l’Espagnole avec laquelle il était parti. Ils vivaient du côté de Bilbao, enfin, par là-bas, dans un bled, qui s’appelle… je ne sais plus… Il aurait jamais dû la suivre. Je vous le dis moi, c’était pas une femme pour lui. Je ne la connaissais pas mais, on ne m’empêchera pas de penser que là-bas, ça devait pas lui convenir. Il aimait la mer, ouais, mais pas n’importe laquelle. Alors, l’océan, puis être loin de Sète, dans un autre pays, il ne l’a pas supporté. Il paraissait solide comme ça, costaud, mais au fond, c’était un type fragile. Je me souviens d’un soir, ça commençait à plus trop aller avec sa femme, la première, la mère du petit, il avait un peu bu, je ne sais plus de quoi il parlait, il s’est mis à pleurer. On aurait dit un enfant, le Michel. Il avait des sanglots tellement violents que ça lui secouait toute sa grande carcasse.
En fait, ce pauvre type, il est allé d’abandon en abandon. D’abord, l’Algérie qu’il a quitté quand il était mome, puis sa femme, elle ne supportait plus qu’il fasse la java avec les copains, elle en a eu marre, elle lui a dit ciao et elle l’a mis dehors. Et puis, il y a quelques années, il est parti de Sète, l’endroit où il avait passé le plus clair de sa vie, et il a suivi cette Espagnole. Il n’aurait jamais dû. L’océan, c’était pas fait pour lui. Je vous le dis, la mer, moi je l’aime, j’y suis tous les jours dessus, mais j’aime que celle-là, en fait, les autres, elles ne m’intéressent pas. Et lui, il m’est d’avis que c’était la même chose. Alors, il s’y est pas fait à sa nouvelle vie et voilà le résultat. Certains disent qu’il s’est perdu dans l’alcool, mais vous savez, ici, on en raconte des choses, et pas toujours des vérités. On aime bien blaguer alors on est prêt à inventer n’importe quoi, sans preuve. C’est quand même une triste histoire tout ça.
En tout cas, je les ai vus, ce matin. Il y avait deux canots accostés. Son fils, il en a un avec une coque bleue, c’est ça ? Du genre de ceux qu’on utilise dans les écoles de voile pour accompagner les dériveurs, non ? Et bien, je l’ai vu, je l’ai repéré. L’autre, je sais pas à qui il était, ça n’a pas d’importance. Le petit groupe marchait vers le phare. Le jeune, il était devant. Il avait un cabat, comme ceux qu’on a au supermarché, en plastique. Il devait y avoir l’urne dedans. Enfin, je suppose. C’est plus facile à transporter comme ça. Après, moi, je suis parti un peu plus loin avec mon bateau. Je ne voulais pas faire le voyeur. C’est intime ces choses-là, vous comprenez. Moi je respecte. Et puis, j’étais là pour pêcher quand même, pas pour faire un reportage pour le Midi-Libre. Quand je suis rentré, quelques heures après, j’ai longé le brise-lame par l’intérieur du port, il n’y avait plus personne. Le vent s’était levé. Il était assez violent. Il y avait pas mal de houle.
Je vous le dis, ils l’ont fait ce matin : ils ont dispersé les cendres de Michel sur le brise-lames.
J’y étais, enfin… presque.
Pour les autres vases, je ne présente plus Brigitte et sa liste. Merci à elle.
jeudi 2 juin 2011
Messages
3 juin 2011, 06:14
Brise lame, brise larmes. un très beau texte. Merci.
3 juin 2011, 06:55, par brigitte Celerier
j’y étais - et vrai qu’on peut la quitter notre me, mais faut y revenir
3 juin 2011, 08:25, par lireaujardin
Bonjour Caroline,
une première toi aussi... sourire...