je lis
"Et cette énorme littérature moderne de confessions et d’auto-analyses permet de déduire qu’écrire une oeuvre géniale est presque toujours un exploit d’une prodigieuse difficulté. Tout semble s’opposer à ce que l’oeuvre sorte entière et achevée du cerveau de l’écrivain. Les circonstances matérielles lui sont, en général, hostiles. Des chiens aboient, des gens viennent interrompre le travail ; il faut gagner de l’argent ; la santé s’altère. De plus, l’indifférence bien connue du monde aggrave ces difficultés et les rend plus pénibles. Le monde ne demande pas aux gens d’écrire des poèmes, des romans ou des histoires ; il n’a aucun besoin de ces choses. Peu lui importe que Flaubert trouve le mot juste ou que Carlyle vérifie scrupuleusement tel ou tel événement. Et, bien entendu, il ne paye point ce dont il n’a cure. C’est pourquoi l’écrivain, qu’il soit Keats, Flaubert ou Carlyle, est atteint de toutes les formes de découragement, et cela surtout pendant les années fécondes de la jeunesse. Une malédiction, un cri de douleur s’élève de leurs livres d’analyses et de confession. "Grands poètes morts dans la misère", tel est le refrain de leur chant. Si en dépit de toutes ces difficultés, quelque chose naît, c’est miracle ; et sans soute aucun livre ne vient-il au jour aussi pur et aussi achevé qu’il fut conçu.
Mais les difficultés, pensai-je en regardant les rayons vides, étaient infiniment plus terribles quand il s’agissait de femmes." V. Woolf, Une chambre à soi
et j’ai envie d’écrire un essai, un siècle plus tard, sur ces questions là, où en est-on ? Je décide de commencer à prendre des notes, à cet instant.
je lis
"Mon petit frère était mort pendant la guerre du Japon. il était mort, lui, sans sépulture aucune. Jeté dans une fosse commune par-dessus les derniers corps. Et c’est une chose si terrible à penser, si atroce, qu’on ne peut pas la supporter, et dont on ne sait pas, avant de l’avoir vécue, à quel point. Ce n’est pas le mélange des corps, pas du tout, c’est la disparition de ce corps dans la masse des autres corps. C’est le sien , son corps à lui, jeté dans la fosse des morts, sans un mot, sans une parole. Sauf celle de la prière de tous les morts" M. Duras, Ecrire
et j’ai envie d’écrire cette terreur (et la confiance qu’il faut conquérir ensuite) de devoir vivre avec un petit enfant, cette fragilité à l’extérieur de soi, comme un organe qui ne serait plus protégé par rien, un organe à nu.
Je sais que je n’ai pas besoin de prendre de notes pour ça. Du temps, il en faut beaucoup, surtout du temps, une chambre à soi.
Mais c’est un mémoire que j’ai à écrire, un mémoire sur la proposition d’écriture en atelier. Et au début de l’année, cette phrase qui m’a sauté au visage et qui est devenue très vite l’horizon de ma recherche : "Sortir de l’atelier, pouvoir s’en passer, en finir avec l’artefact collectif, est une préoccupation qui reste toujours sous-jacente dans le rapport individuel que j’ai avec les participants. L’atelier n’est justifiable que s’il construit sa propre liquidation" F. Bon, Apprendre l’invention.
mardi 8 février 2011, par