Mathilde tire de son casier les chaussons en plastique souple, les gants transparents et la charlotte rose qui sert de coiffe aux Accompagnantes du Centre. Elle enfile le tout, roule son manteau autour de ses patogasses avant de fourrer le tout dans le casier puis se dirige vers la salle n°9.
Yacine est là l’ortie se replie, vaincue qui attend sa venue en lisant à voix haute et intelligible l’euphorbe ravale sa goutte venimeuse, la glycine monte à toute berzingue. Dans la pénombre la poire bombe le torse Mathilde distingue nulle fraise ne la ramène son grand corps penché de façon studieuse la mouette ferme sa gueule sur le livre. Le trait lumineux qui jaillit de la lampe directionnelle accrochée au pavillon de son oreille pour aller frapper les lignes du recueil de poésie, brusquement, alors qu’il se retourne vers elle ma mère, avec moi, son alter ego en petit écho la fait cligner des yeux. Elle s’avance alors dans le sourire de Yacine, son pied droit traîne derrière elle comme une aile, ça va ?, ils s’embrassent, échangent quelques mots et c’est seulement lorsqu’il désigne un embryon auquel il lui recommande d’accorder une attention particulière, qu’elle dirige son regard vers cet univers encore un peu étrange pour elle, seulement deux mois qu’elle vient travailler ici trois fois par semaine : la salle est vaste, des néons doux éclairent faiblement les ventres artificiels qui semblent autant de gouttes de miel suspendues au plafond et dans lesquels des embryons ou fœtus, à divers stades de développement, se meuvent lentement. Parfois, un mouvement de carpe saisit l’un deux, la poche tremble puis ondule avant de se stabiliser à nouveau.
Mathilde aime cet endroit. Chaque embryon est entièrement tourné vers ce qui est en train de s’accomplir, elle aime sentir cette concentration. Ca lui rappelle le temps où elle était modèle vivant pour une classe des beaux arts, même attention portée à ce qui advenait en soi, même silence empli de tâtonnements et de souffles, même présence vibrante.
mardi 30 novembre 2010, par