On dirait que le brise-lames de Sète tient son journal.
On dirait que le brise-lames n’est pas une personne ni même un personnage mais on dirait qu’il a une voix, non deux, ou bien trois, on va dire « des voix ».
On dirait que sa voix nous parviendrait à travers le rocher et le béton. Une voix donc assourdie, filtrée, deshystérisée.
On dirait que le brise-lames a une peau, une peau qui pèse son poids, vilaine et écaillée. On dirait qu’il a des yeux qui veillent, balayent la nuit. Un intérieur aussi, un peu glauque comme le sont les entrailles, suintant et qui rend des sons sourds, caverneux. Avec des portes condamnées.
On dirait que dans sa peau circule de l’eau. On dirait que la mer, il l’a dans la peau.
On dirait que, vu son âge, il n’a pas toute sa tête et on dirait que c’est tant mieux. S’il divague. Que c’est dans sa nature.
C’est reposant d’écouter quelqu’un divaguer, du moment qu’on en a pris son parti.
On dirait que personne n’a jamais enseigné au brise-lames ce que sait tout collégien qui se respecte : à savoir la distinction entre les quatre grands genres, théâtre, poésie, roman, essai. On dirait qu’il s’en branle, en vérité.
On dirait que le brise-lames est inculte. On dirait que ses lectures se cantonnent à Midi-Libre, et encore les dimanches d’été quand les sétois l’abandonnent après une journée à farnienter sur le béton.
On dirait que le brise-lames ne ment pas même lorsqu’il invente. On dirait qu’il ne raconte pas d’histoires, lui.
On dirait que le brise-lames est un contemplatif. « Les nécessités de l’action tendent à limiter le champ de la vision » a dit Bergson.
On dirait que le brise-lames voit, entend, sait tout dans le périmètre délimité par la lueur de ses phares, la nuit.
On dirait qu’il veille, posté entre les eaux du port et les eaux de la mer, entre la ville et la plaine marine.
On dirait que vous me suivrez les yeux ouverts.
vendredi 26 novembre 2010, par