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proposes-tu ou contrains-tu

Aujourd’hui, la plupart des animateurs font des « propositions » d’écriture. Mais les termes de « contrainte », « consigne » et « motivation » sont également (indifféremment ?) employés. Pour tenter de cerner ce que recouvre chaque terme, retournons aux origines avec le Dictionnaire historique de la langue française (sous la direction d’Alain Rey).

PROPOSITION :
Du latin propositio, -onis, la proposition désigne au départ l’action de mettre sous les yeux, de présenter et la définition actuelle ne s’en éloigne guère puisqu’elle renvoie à l’action de faire connaître ses intentions.
La proposition est proche de la suggestion dans la mesure où elle ouvre des possibles en indiquant une intention sans pour autant imposer une vue, encore moins une obligation à la suivre docilement. Pas d’injonction. Une proposition se suit, ou pas. L’animateur propose, le participant dispose. Elle met l’accent sur le pré-texte, qui est perçu alors comme une sorte de tremplin qui va aider à s’élancer, à faire ce saut vers. Après, on ne sait plus. D’où la difficulté du saut. Et la nécessité de la proposition, ouverte certes mais prégnante, aussi indispensable à l’atelier de l’écrivain qu’à l’atelier d’écriture. Sans elle, rien ne cristallise, rien ne s’agglomère.
On comprendra que ce mot me convient… aussi pour son acception en mathématiques : énoncé d’une vérité à démontrer, d’une question à résoudre, si l’on veut bien voir dans la littérature une question à résoudre qui n’en finit pas de se résoudre et de se poser.
Et puis la proposition a partie liée avec le texte, lorsqu’on la dit principale ou relative. Avec la proposition, on se retrouve d’emblée de plain-pied avec la littérature.

CONTRAINTE :
Du latin constringere, lier ensemble, enchaîner, et au figuré, réprimer, contenir ; l’usage est attesté au XII sous la forme du participe passé féminin. Corset ? Je me sens moins à l’aise. Et pourtant.
Les définitions qui suivent n’ont rien pour plaire à quiconque est épris d’écriture : « action de contraindre quelqu’un à agir contre sa volonté », « violence exercée contre quelqu’un », « entrave à la liberté d’action ». On est du côté de la règle, de la discipline, de la loi. Or, on l’a vu, la création ne peut être reproduction de normes. Elle est de fait, par essence, hors la loi. Un écart. Et pourtant.
Dans ma pratique en collège et lycée, j’ai souvent pu constater à quel point une contrainte précise et extrêmement rigide pouvait libérer le texte, lui faire prendre des chemins de traverse, aussi tordus et ingénieux que la mauvaise herbe, alors que des propositions trop lâches donnaient aux élèves l’entière liberté de se perdre dans des textes mâchés et remâchés, autoroutes pour la mièvrerie, dans ces « rédactions » à la chute inévitable : « Quelle belle journée ! ». Et dans ce cas, même une impasse, c’est mieux.
Précisons que la contrainte est souvent associée aux adjectifs « formelle » ou « stylistique » en atelier d’écriture. Il s’agit de contraindre la forme dans le but de pousser à l’invention, l’idée étant d’aider l’écrivant à ne pas retomber dans des schémas préétablis, balisés, conformistes. Autre bénéfice : lorsque l’attention est fixée sur la contrainte, elle l’est moins sur la difficulté à écrire. La contrainte ôte la peur de la page blanche et sa rigidité force au détour, ce qui est le seul trajet possible pour qui veut inventer ; on tient quelque chose.
L’Oulipo nous a beaucoup appris à ce sujet et, s’il faut se méfier des contraintes stylistiques qui tournent à vide et font cracher de petits joyaux vite oubliés, il s’agit cependant de se rappeler le rapport contrainte/liberté. Seule une structure suffisamment solide peut permettre à l’objet texte de se déployer, de grandir, de « prospérer ». Et quand la contrainte structurelle fusionne avec la chair de celui qui écrit, quand le « e » qui manque répond au « eux » perdu, comme c’est le cas dans La disparition de Pérec, le texte prend corps.
Enfin le Cum du « lier ensemble » pourrait bien me réconcilier définitivement avec ce mot puisqu’un texte/tissu est là, dans ce « lier ensemble des matériaux disparates », les mots avec les images mentales, les odeurs, les souvenirs, les projections, le corps de celui qui écrit, etc.

Une solution que j’expérimente dans mes ateliers « écritures contemporaines » du samedi matin : croiser proposition ouverte et contrainte formelle forte.

Exemples :
1- Proposition : décrivez ce que serait pour vous « une chambre à soi », une chambre où inventer (inventer en écriture, en art, en amour ; inventer : créer de nouvelles formes à partir de ce qui est, de nouvelles combinaisons) en milieu hostile.
Contraintes : phrases courtes, paragraphes courts, aller au plus urgent (le milieu est hostile), se rappeler les Slogans de Maria Soudaïeva (forme du slogan, ramassé ; lire « les mauvais jours » p.77).

2- Proposition (après lecture d’extraits de L’almanach de Véronique Vassiliou) : vous écrirez un texte où il est question de supermarché en partant d’observations et de sensations précises éprouvées dans celui que vous fréquentez le plus souvent.
Contraintes : tenter de donner un équivalent de deux faits majeurs qui caractérisent le supermarché : abondance et ordre. Quelles contraintes stylistiques ?
Rejoint la dimension poétique du texte : répétitions de « Il y a », possibilité d’énumérations, importance accordée aux mots, à leurs sonorités (noms de marque par exemple).

L’alternance ouverture/fermeture est inhérente au mouvement (on pensera au mouvement de la marche, aux valves du cœur, aux fenêtres que l’on passe son temps à ouvrir et fermer lorsqu’on travaille sur internet) et c’est bien une mise en mouvement qui est ici recherchée.

Je m’attarderai moins sur consigne qui est extrêmement connoté, empreint d’une histoire militaire puis scolaire. Brûlons la consigne ou plutôt mangeons-là, ce sera plus discret, inutile d’alerter qui que ce soit pour une si petite affaire.
Même chose pour motivation, le désir d’écrire doit être là, même assoupi, même totalement ignoré voire méprisé et l’animateur ne peut que l’éveiller, certainement pas le faire naître ex-nihilo. Du moins je ne crois pas. On ne peut pas créer chez quelqu’un les "raisons qui le poussent à agir". Du moins je l’espère.
Le latin motivus, relatif au mouvement, est cependant nettement plus séduisant, l’animateur aiderait à cette mise en mouvement évoquée ci-dessus, à cette mise en branle vers l’écriture du texte.

jeudi 14 avril 2011, par Juliette Mézenc

Messages

  • Je partage tout à fait cette analyse et vous remercie Juliette de l’avoir mise en mots.

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