Opération vase-communicants : j’accueille aujourd’hui Guillaume Vissac qui déterritorialise pour la première fois,
bienvenue !
Fiction territoriale
D’abord dessine un plan du quartier tel qu’on le connaît. Après déplie la feuille sur les graviers devant le portail. Croix rouge ou rose ou mauve au stabilo sur la partie terrain qu’on verra la plus vide. Pointure Converse 42 imprimée sur la feuille : preuve que c’est juste à côté : preuve que c’est à portée de marche rapide pour rallier la zone entre deux heures de rien ou cour sauté.
Quartier tel qu’on le connait : coquille d’escargot lui aussi. À deux pas du bahut, entre les cours on traîne dans des zones intermédiaires qui appartiennent à personne puisqu’on les a faites nôtres. No man’s land de caillasses et chardons et derrière les talus des sentiers marqués par la forme de nos pompes qu’on a forcé nous-mêmes. Y a trop d’arbres pour que ça s’appelle un pré, pas assez pour virer bois craignos. Alors dans le doute et dans l’attente d’une dénomination officielle on dira c’est chez nous et ces zones on y vit.
On respecte les frontières comme personne. Pas une fois on a débordé des zones vierges qu’on s’est fixé. Terre neuve sans drapeau, on a gravé nos pseudos dans les écorces pour en faire. Les bois sont trop rêches pour qu’on monte dans les arbres alors on stagne au sol. On pisse contre les murs de la vieille caserne. Planté sur le haut de la bute, en dessous des premiers échos bétons du haut du quartier on s’écarquille : tout ça c’est à nous. Y a des dizaines de traces cachées qui témoignent. Des dizaines de tracts sans mots qui invitent. Ça vaut tous les baux du monde, sèche tous les papiers qu’on ose pas nous sortir. On dit qu’on gère, on dit qu’on maîtrise.
Si ça devait s’appeler ça s’appellerait pas « chez nous ». Quand on dort on dort par terre, y a pas de murs pour nous retenir. Sur le plan la zone elle est blanche, on l’habite en nomades qu’on serait peut-être si on était nous-mêmes. On dessine pas de cloisons fictives sur la terre sous les arbres. On construit pas de cabanes, s’abrite pas sous les branches. Quand il pleut on se disperse, à -5° on hiberne. Le reste du temps on traverse. Jamais vraiment un endroit à la fois, jamais réglé, toujours ailleurs. Entre deux heures de vraie vie ici au moins on reste à quatre, à vingt, à douze, à ruminer du rien, à falsifier du vide.
On a pas de nom, on s’appelle pas. On est ni une bande, ni un gang, ni une meute : on est affilié à aucun groupe politique, ni aucune cause morale : on existe pas : on est que nous. Pas de numéro pour délimiter des parcelles qu’on imagine pas. Pas de cartographie dans ces espaces que personne peut baliser. On fabrique juste des couloirs dans lesquels on arpente la zone sans se marcher dessus. On a pas de mots pour dire ce qu’on est ou ce qu’ailleurs on pourrait être. On est personne, et même pas ce que les autres disent : les putes du quartier.
D’accord on suce pour des billets mais uniquement parce que d’autres aussi nous en filent. Derrière faut bien qu’on ait du cash pour retrouver la vraie vie. Faut pas croire qu’ici on oublie le reste. Passé sept heures tout le monde vide la zone et rentre chez soi, faut bien qu’on bouffe. Passé le JT on y retourne mais pas trop loin, trop tard. On sait tous qu’à point d’heure si on s’est pas dispersé, les vieux d’à côté, les nôtres, viendront débouler là pour nous traquer, nous reprendre. Ils diront qu’il est tard, que demain y a école et ça : ça fait fuir les clients : c’est mauvais pour le business : ça détruit la zone. Pour ça qu’on force jamais le couvre-feu, pour ça qu’on rentre toujours dormir et que la zone on la laisse là, indemne et molle encore derrière nos traces de pas.
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vendredi 26 novembre 2010, par