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anthony poiraudeau

des îles comme s’il en pleuvait aujourd’hui, merci à Anthony Poiraudeau de me confier ce texte étonnant que je lis et relis sans me lasser. A vous !

L’archipel des hétéroclites

Sur l’île où on les a réunis, les érotomanes jettent des coquillages à la mer pour que Vénus y naisse, à proximité de leur rivage. Qu’elle accoste sur leurs grèves déshéritées de volupté, et que sa chair généreuse, la chevelure ondoyante, ses seins et ses hanches frémissant encore d’écume leur offrent une assomption luxurieuse, que ses filles déesses en amour soient portées à se répandre sur ce morceau de terre émergée, et qu’érotomanes ils soient sauvés de la désolation de leur chasteté contrainte. Tous coquillages coulent. Ne reviennent au rivage que ceux que le courant a privés du large, luisants d’eau et nacrés mais vides de toute lascivité et de tout amour, que l’on jettera encore pour vides les retrouver. Hétérosexuels et sans femme, prisonniers de leur île abandonnée et fruste, sablonneuse à la végétation rare, les érotomanes à l’isolement s’adonnent à d’abondantes industries masturbatoires. Souvent ils creusent la terre et l’ensemencent mais sans la rendre fertile, pas davantage que ne le sont en déesses de chair leurs coquillages à la mer.
Par delà le rivage caché, la paroi de falaises rocheuses qui est interdite aux érotomanes en leur île, par-delà la mer démontée à son pied, le regard de l’aventurier téméraire éprouverait le spectacle mauvais de l’île des ambitieux, dont la peau de chagrin s’érode de jour en jour en peau de chagrin, et où pourtant populeuse la place pour les prétentieux vient à manquer, serrés comme sardines en boîte. Puisque téméraire, l’aventurier-téméraire devrait y accoster et s’ajouter au nombre, et renoncer à voir ce qui plus avant aurait peut-être été le but de son voyage, au travers de la mer démontable les trente-deux îles mobiles et submersibles surplombées par le mont du grand Chronos Échiquéen.

Les habitants de l’île Majeure, au centre de l’archipel, sont en villégiature permanente, venus chercher la splendeur d’un décor et d’un climat paradisiaques. Ils ignorent l’usage que l’on a des îles voisines, visibles pour les plus proches depuis les superbes plages où ils lézardent à loisir. Ces résidents volontaires et satisfaits s’en tiennent, volontiers et satisfaits, au récit en toute officialité disponible quant aux autres îles, sans lesquelles la leur serait solitaire et non point la plus grande d’un archipel, à savoir qu’elles sont désertes et la plupart d’entre elles inexistantes, de simple toiles tendues à l’horizon pour agrémenter leur panorama, un autre des services qui leur sont fournis pour compléter leur paradisiaque milieu.

Les estivants perpétuels ignorent, ou le feignent, que sur l’île la plus proche de la leur, qu’on voit droit devant soi depuis la marina interdite aux bateaux, sont tous réunis ceux qui eurent le malheur de rêver d’île déserte. Ils y sont au milieu de la foule qu’ils font, à la recherche d’une parcelle de sable où étendre leur serviette chacune ornée de palmiers. Certains d’entre ceux-ci doivent parfois quitter cette île, s’ils avaient aussi connu l’infortune d’avoir su dresser la liste des dix livres qu’ils auraient emportés sur l’île déserte dont ils avaient rêvé. Ils sont alors déposés sur un frêle radeau de médiocre flottaison, précisément constitué des dix livres qu’ils avaient choisis.

L’île qu’on a réservée à celles et ceux qui sur une île déserte dirent préférer un manuel de construction nautique est située bien plus au nord, en plein coeur de la mer des naufragés. Elle est proche de l’île des morts face à laquelle un confetti rocheux émerge où réside Arnold Böcklin, sans le moindre matériel de peinture à sa disposition.

Les deux précédentes et le confetti sont par-delà les quatre Transversales, qui accueillent les êtres inanimés : l’île des objets dont le nom en langue française commence par une consonne comprise entre "c" et et "l" ; l’île des objets dont le poids est tenu pour important relativement à leur volume ; l’île des objets rouges ; enfin, l’île des objets n’ayant pas trouvé leur place sur les trois îles précédentes.

L’archipel est complété au sud de la Majeure, mais hors de sa vue, par l’île où les hyperacousiques lisent l’intégralité des paroles prononcées par Ezra Pound au cours des onze dernières années de sa vie ; par celle où sont réunis, d’une part, celles et ceux dont l’idée principale est qu’on peut rire de tout, et d’autre part celles et ceux dont la pensée principale est qu’on ne peut rire de rien mais qui font rire tout le monde. Entre ces deux dernières se trouvait l’atoll des Saints des derniers jours, jusqu’à ce qu’il disparaisse sous les eaux le premier matin venu.

© Anthony Poiraudeau - 2010

Sur Paumée, la liste des autres participants à ces vases communicants de février.

vendredi 26 novembre 2010, par Juliette Mézenc

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