... Je ne pourrai pas être à la Comédie du livre cette année mais j’encourage vivement ceux qui le peuvent à aller écouter le texte collectif que les Terminales CAP Mécanique Véhicules Auto ont écrit avec moi dans le cadre d’ "Auteur au lycée". Ce sera vendredi 19 mai de 11h à 12h30 au Centre Rabelais et il y aura bien sûr d’autres textes d’autres classes écrits avec d’autres auteurs, Louise Desbrusses, Natyot...
Bravo et merci à Thomas Aigle, Hassan Baya, Quentin Birba, Ibrahim Boudouf, Kevin Cauhape, Mohamed Diaby, Hicham Lemaouaj, Anthony Pascual, Thomas Paté, Fassou Traore. Ils ont bien œuvré lors de ces ateliers, en témoignent les textes ci-dessous, que vous retrouverez également avec les autres projets "Auteurs au lycée" sur ce site.
Toujours à la Comédie du Livre, même jour, un autre événement à signaler et qui me tient à cœur : le séminaire organisé par le DUAAE (Diplôme Universitaire d’animation d’ateliers d’écriture) pour lequel j’interviens tout au long de l’année à la fac de Montpellier. Voici le programme !
AGOTA KRISTOF ET NOUS
Agota Kristof lit comme une malade.
Agota Kristof attrape la maladie inguérissable de la lecture.
La punition d’Agota Kristof, c’était de partir dans la classe de son père et son père lui donnait des livres, et c’est comme ça qu’elle a attrapé cette maladie inguérissable de la lecture.
Moi Quentin Birba, je n’ai pas cette maladie mais peut-être que c’est une belle maladie.
Le père d’Agota Kristof était le seul instituteur du village. Moi, Tico Traoré, mon père ne m’a pas mis à l’école, mais il me donnait des livres en arabe pour apprendre à prier.
Agota Kristof, elle a un père instituteur, moi Hassan Baya, mon père est maçon.
Agota Kristof se trouve au début de la guerre, moi Hassan Baya je me trouve au début de la technologie.
Agota Kristof, elle adore raconter des histoires, moi Hassan Baya je déteste raconter des histoires.
Agota Kristof, toute petite déjà, elle aime raconter des histoires, des histoires inventées par elle-même. Moi Hicham, j’ai jamais raconté des histoires, j’aimerais raconter des histoires mais je me dis toujours que c’est nul ce que je vais dire, j’ai pas de confiance en moi sur ça, je pense que je vais pas faire plaisir aux gens.
Quand Agota Kristof avait 9 ans, moi Mohammed Diaby je n’étais pas encore né. Agota Kristof va habiter une ville frontière. Agota Kristof remarque que le quart de la population parle la langue allemande. Moi Mohammed Diaby je ne sais pas parler allemand mais je sais parler guinéen. Pour Agota Kristof l’Allemagne est un pays ennemi car elle rappelle la domination autrichienne. Moi Mohammed Diaby je ne sais pas quoi penser car je ne suis jamais parti en Allemagne.
Agota Kristof aime lire. Moi, Anthony Pascual, j’aime jouer à l’ordinateur.
Agota Kristof est une fille renfermée. Moi, Anthony Pascual, je suis une personne enthousiaste.
Agota Kristof est partie dans plusieurs autres pays. Moi, Anthony Pascual, je n’ai pas beaucoup voyagé.
Agota Kristof aime beaucoup écrire. Moi, Anthony Pascual, je n’aime pas du tout écrire mais vraiment pas du tout.
Agota Kristof aime faire ses devoirs. Moi, Anthony Pascual, c’est très rare que je fasse mes devoirs.
Agota Kristof pleure en silence dans son lit. Alors moi, Anthony Pascual, je la prends dans mes bras pour la réconforter.
Agota Kristof vit dans un pays avec peu de richesse. Alors que nous... la France est un pays assez riche même si la plupart des gens sont pauvres....
Agota Kristof a toujours froid en hiver parce qu’elle n’a pas beaucoup d’habits le soir pour dormir. Alors que nous on a plein de choses !
Agota Kristof emprunte des chaussures, la seule paire de chaussures qu’elle a, elle l’a amenée à réparer chez le cordonnier. Alors que chez nous il y a ce qu’on appelle des magasins pour acheter des chaussures.
Agota Kristof a son père en prison. Alors que le mien se tue au travail pour avoir ce que j’ai sur moi. Je l’en remercie !
Agota Kristof, pour gagner un peu d’argent, elle organise un spectacle.
Agota Kristof quitte la Hongrie.
Agota Kristof traverse la fontière avec son mari, sa fille de 4 mois, c’est très dur pour eux.
La fille d’Agota Kristof n’a que quatre mois, elle peut tomber malade, l’hôpital et la pharmacie sont loin.
Agota Kristof prend un gros risque.
Agota Kristof n’a pas le choix. Ils doivent le faire, sinon ils se font tuer par les Russes. Ils gagnent leur liberté. Moi Hicham je me dis toujours dans ma tête : il faut toujours être heureux car il y a beaucoup de gens qui souffrent beaucoup plus que nous.
Agota Kristof traverse la forêt avec plein d’arbres et de racines, ça doit être dur de protéger sa fille, ils ont peur des soldats. Moi Hicham je me mets à leur place et je me dis que, ça, c’est trop dur à vivre.
Agota Kristof se souvient peu de tout ça. Moi Hicham, si j’avais vécu ça je pense que je l’aurais jamais oublié.
Agota Kristof en novembre 1956 a perdu définitivement son appartenance à un peuple.
Agota Kristof arrive en Suisse.
Agota Kristof entre dans l’usine tôt le matin, elle en sort à cinq heures le soir.
Agota Kristof pense à autre chose, les machines ont un bruit régulier qui scande les vers.
Agota kristof, pour écrire ses poèmes, elle utilise le bruit des machines parce que les machines ont des bruits musicaux.
Agota Kristof a une feuille de papier et un crayon, comme moi Quentin Birba.
Quand le poème prend forme, Agota Kristof note.
Le soir, Agota Kristof met tout cela au propre dans son cahier.
Agota Kristof, elle trouve que tout le monde est gentil à l’usine mais ils ne la comprennent pas. Moi Hassan Baya, je trouve le lycée génial et je comprends tout.
C’est le désert pour Agota Kristof, sa famille lui manque, le mal du pays.
Agota Kristof, elle adore les dimanches pour dormir et rêver.
Il faut s’intégrer... Gisèle, une amie d’Agota Kristof n’a pas pu, comme d’autres Hongrois qui se sont donné la mort.
Agota Kristof est arrivée en Suisse, cinq ans après elle sait parler le français mais elle se sent nulle en examen d’écriture, elle se retrouve avec des débutants. Moi Ibrahim, mon espoir, c’est d ’être champion d’aviron. Agota Kristof, elle, préfère lire. Agota Kristof devient passionnée du dictionnaire. Comme ça, Agota Kristof écrit mieux comme elle pense. Moi Ibrahim j’aime faire du vélo, j’aime courir pour être en forme, mon métier plus tard : sapeur-pompier.
La première pièce de théâtre d’Agota Kristof est jouée dans un bistrot, les exercices de répétition au théâtre lui rappellent quand elle était enfant. Agota Kristof commence à écrire de courts textes sur ses souvenirs d’enfance. Moi Tico Traoré, quand je pense à mon enfance, je suis un peu triste.
Agota Kristof, plus tard, elle a sur son bureau une histoire cohérente avec un début et une fin.
Agota Kristof a la conviction, la certitude que son roman est un bon roman.
Agota Kristof prépare son contrat d’édition. Moi, Tico Traoré, je n’ai pas encore fini mes études.
Agota Kristof dit qu’on devient écrivain en écrivant avec patience et obstination sans jamais perdre la foi dans ce qu’on écrit.
Agota Kristof, à quatre ans, elle savait lire déjà. Moi Tico Traoré, à quatre ans, je ne savais pas lire le français mais je savais parler le Malinké, le konianké, le bambara.
Agota Kristof a eu un grand succès avec sa trilogie parue au Seuil : Le grand cahier, Le Troisième Mensonge et La Preuve.
Agota Kristof a reçu le prix Européen de l’ADELF
Agota Kristof a reçu le prix Schiller
Agota Kristof a reçu le ruban de la Francophonie
Agota Kristof a reçu le prix du livre inter
Agota Kristof a reçu le prix Alberto Moravia
Agota Kristof a reçu le prix Gottfried Keller
Agota Kristof a reçu le prix de l’État Autrichien pour la littérature européenne
Agota Kristof a reçu le prix de l’institut neuchâtelois
Agota Kristof a reçu le prix Kossuth de l’État Hongrois
Agota Kristof a eu trois enfants
Agota Kristof a divorcé deux fois
En 1995, paraît son dernier roman : Hier, aux éditions du Seuil
Texte écrit par : Thomas Aigle, Hassan Baya, Quentin Birba, Ibrahim Boudouf, Kevin Cauhape, Mohamed Diaby, Hicham Lemaouaj, Anthony Pascual, Thomas Paté, Fassou Traore.
Le début du texte lu par des comédiens lors de la Comédie du livre 2017
Le texte lu par leurs auteurs
On parle souvent de « rencontre avec un écrivain », dans un festival, une librairie, une médiathèque ou encore un lycée
Et pour de vrai je les ai rencontrés
J’ai rencontré Hicham, Anthony, Mohammed, Kevin, Thomas A., Fassou, Thomas P., Quentin, Ibrahim, Hassan
Et je sais qu’il vont compter dans ma vie
On croise les voisins
On travaille avec les collègues
On croit se connaître, à force de se rencontrer
Dans un atelier d’écriture, on se rencontre pour de vrai
C’est un espace clos et poreux où il se passe toutes sortes de choses dont on ne peut pas toujours parler à l’extérieur
Il faut dire que c’est un peu secret, fragile aussi
On pense, mais c’est fugace, à un bouquet de renoncules
On aimerait en dire quelque chose cependant, de ces rencontres pour de vrai
De ces regards longs, pensifs, ou vifs soudain
De ces prises de parole inattendues, de ces paroles entendues
De ces textes qui resteront entre nous
Certains écrits dans l’air, dans l’air suffisamment bon, suffisamment clément de l’atelier
Et par lesquels nous sommes entrés en (grande et intense et vitale) relation
Je repense au dernier atelier, on a regardé des lettres officielles et originales d’Albertine Sarrazin puis ses « biftons de prison », les lettres secrètes qu’elle adressait à son amoureux, Julien Sarrazin, on a parlé clandestinité, parce qu’un écrit est toujours un peu clandestin, et ils ont écrit à leur tour de courts « billets » adressés à une seule personne, au monde entier, ou à soi-même
Un texte à soi comme une chambre à soi
Les billets se sont ensuite échangés dans le groupe, en fonction de l’adresse, certains ont été lus dans l’atelier, à tous, d’autres à une personne seulement, d’autres encore en dehors de l’atelier, à d’autres que nous ne connaissons pas
L’atelier a rayonné au-delà de l’atelier
Pour moi comme pour eux
Parce que je sais qu’ils seront là, désormais, quand j’écrirai, que j’écrirai avec eux, comme j’écris avec les multivers d’Aurélien Barrau, avec les tropismes de Nathalie Sarraute, avec les sucs noirs du plateau ardéchois et tant d’autres êtres, idées, rêves qui me font et me défont, ne cessent de me traverser lorsque j’écris et pas seulement lorsque j’écris
Mais peut-être que j’écris sans cesse
Allez savoir
Merci à tous ceux qui ne sont pas cités mais qui ont pourtant contribué, chacun à leur façon, à cet atelier : Elodie Bonnat pour l’accompagnement sans faille, Clémence de Négri, Christian Plu et Agnès Benet pour leur présence active, Juliette Massat pour l’initiative de cet atelier et le prêt de documents précieux.
mercredi 17 mai 2017, par