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Laissez-passer # 5

Série toujours en lien étroit avec Nous sommes tous des presqu’îles.


Je ne sais pas si vous avez déjà traversé la frontière Russe. C’est une expérience à faire.

Evidemment des frontières en Russie, je veux dire, des points de passage autorisés, il y en a beaucoup. La Russie est un grand pays. Ça me fait penser à ce que disait un astrophysicien dont j’ai oublié le nom… Il disait que plus le cercle qui délimite notre champ de connaissance s’agrandit, plus la frontière avec ce qui échappe à notre entendement s’allonge, s’étire, et par conséquent plus le mystère s’accroît.
Mais revenons à la Russie.
Beaucoup de passages de frontière possibles, disions-nous, selon que vous entrez par la Finlande, la Lettonie, le Kazakhstan, la Chine, le Japon…. Ceci dit c’est vrai pour tous les pays. Le Canada, les Etats-Unis mais aussi les pays plus petits comme la Namibie ou la Thaïlande. Mais c’est surtout vrai pour la Russie.
Evidemment tout dépend aussi de l’époque à laquelle vous avez passé la frontière… Bien évidement. Ceci dit c’est vrai pour tous les pays. On ne traverse pas aujourd’hui la frontière entre la France et les Etats-Unis comme on la traversait dans les années 50, traversée bien différente encore si on l’effectuait dans les années 40, surtout les cinq premières etc. etc. On y reviendra. Mais c’est surtout vrai pour la Russie.
A ce stade nous pouvons tout de même constater qu’il n’y a rien de plus instable ni de plus mouvant que le concept de « passage de frontière », sans compter bien sûr la frontière elle-même, rendez-nous l’Alsace et la Lorraine etc. etc.
Le concept de « passage de frontière » s’avère encore plus instable s’il nous vient l’idée saugrenue de rajouter un paramètre auquel il n’a pas été fait allusion jusqu’ici : l’être vivant qui passe la frontière en question. Le passage ne sera pas du tout le même selon qu’il s’agira d’une tortue de mer, d’un étourneau, d’un caïman domestique, d’un homme noir avec papiers, d’un homme noir sans papier, d’une femme rousse avec lunettes, d’une femme rousse sans lunettes mais avec tatouages etc. etc. Tout peut entrer en ligne de compte. Même votre dentifrice, au cas où vous auriez opté pour le format familial XXL, plus pratique pour les vacances.

J’espère que vous me suivez.

Bien. Nous arrivons maintenant devant le portique d’aéroport que j’ai passé en juin 2013 entre la France et la Russie, mais je réalise en vous parlant qu’il devait s’agir de la frontière entre l’Italie et la Russie puisque j’avais fait escale à Rome, sauf que ce qui me parait évidement maintenant, alors que je vous parle, c’est qu’il s’agissait en fait de la frontière entre l’Europe et la Russie, on en perd son latin.
Une chose dont je suis sûre c’est que le « passage » dont je vous parle s’est effectué sur le sol italien, dans un aéroport italien (mais à quel moment me suis-je retrouvée en Russie ? Après le passage de frontière dans l’aéroport italien alors que j’étais toujours en Italie ? Quelque part dans les airs ? A l’arrivée, avant (ou après ?) le passage par la guérite où on m’a demandé en russe de remplir un papier pendant qu’on vérifiait les miens ?), toujours est-il qu’après ou avant le portique, je ne me souviens plus très bien (je parle du portique à Rome mais je crois qu’il s’agissait déjà d’un portique Russe, plus je cherche à être claire et précise et plus je m’embrouille et me pose de questions), j’ai eu droit à une petite innovation, expérience en tout cas pour moi inédite (mais je voyage assez peu) : j’ai dû m’introduire dans une sorte de cabine circulaire et vitrée où j’ai été ensuite invitée à lever les mains (à ce stade on a très envie de rire, on pense « Haut les mains / peau de lapin / la maitresse en maillot de bain ! » mais tout de suite après on pense à tous ces films de SF, aux cabines de téléportation qui y sont justement, elles aussi, circulaires et vitrées, à toutes les fois où ça se passe mal, la téléportation, et on n’a plus envie de rire du tout) puis ZWEP un rayon que l’on imagine être un scanner (évidemment on ne vous explique rien) vous passe très vite devant les yeux de gauche à droite puis de droite à gauche ZWEP, et là vous avez à nouveau envie de rire parce que vous pensez à nouveau à Spoke et à Star-Trek mais très vite vous tombez sur le regard sévère de la garde-frontière sanglée dans un uniforme qu’on croirait racheté à la garde-robe de Louis de Funès pour ses « Gendarmes à Saint-Tropez », d’où l’impression peut-être qu’il s’agissait plutôt d’une garde-frontière russe et donc d’un portique russe
et là
bizarrement
l’ensemble ne vous fait pas rire du tout.

A ce stade nous pouvons constater que tout va très très vite.
Faut que ça débite, pas le temps de lambiner, on ramasse sa souris, son ordi, ses clics et ses claques.
Et on remercie tout ce beau monde.
Mais vous sentez bien que ça peut tout aussi vite, dans certains cas précis et épineux, ralentir beaucoup, beaucoup, et dans certains cas encore plus précis et plus épineux, vous sentez très nettement que ça peut s’arrêter très vite aussi. Ici. Certains n’iront pas plus loin. Même si bien sûr les cas les plus épineux ne passent que très peu par les aéroports. Le garçon qui a été retrouvé gelé il y a quelques années dans le train d’atterrissage d’un avion ne devait pas savoir qu’il encourrait la mort par gel ou hypoxie ou les deux. Mais il savait au moins ceci : ça ne rigole pas, aux portiques des aéroports.

Pour les Etats-Unis c’est presque pareil.

Enfin pareil mais en plus… smooth… pas sûre de la traduction mais les sonorités, elles, c’est certain, sont appropriées : sssmooothh…
Vous ne voyez pas ? alors peut-être… chamallow ?
Faites un petit effort, imaginez le bon gars black qui vous sourit en faisant une blague que vous ne comprenez qu’à moitié, un peu que votre anglais n’est pas fluent, un peu que vous êtes assez stressé, avec toutes les histoires qu’on raconte sur les frontières américaines, en tout cas il vous fait le sourire « démocratie à l’occidentale » tout en vous enjoignant de soumettre votre œil à un appareil genre de ceux que les ophtalmo utilisent pour mesurer… je ne sais quoi au juste, passons… vous savez, avec le rebord en plastique sur lequel appuyer votre menton, le cadre en fer qui vous enserre la tête, le butoir sur lequel appuyer votre front de façon à ce que l’œil soit bien positionné… Et hop l’ophtalmo vous envoie un petit jet d’air dans l’œil… Sauf qu’a priori vous avez plutôt confiance en votre ophtalmo, vous ne savez pas exactement ce qu’il mesure avec son appareil mais vous vous en remettez à lui alors que là (on ne vous explique évidemment rien, à moins que vous n’ayez pas tout compris, ce qui est fort possible aussi), vous avez un peu plus de mal, à vous abandonner… et soudain vous le trouvez nettement moins cool, le Will Smith des frontières, l’opération est indolore et ne dure qu’un quart de seconde mais après vous vous posez bien sûr tout un tas de questions, vous vous dites que vous devez être reconnaissable à l’iris ou quelque chose de ce goût-là, que ça doit être plus fiable que l’empreinte digitale, que Will Smith n’oublie pas non plus de vous arracher, of course, multiples procédures effectuées promptement avec force blague et sourire, on l’a dit, je sais, mais c’est lui qui en fait trop avec le sourire, pas moi !

Et là, à ce stade du texte, il faudrait que j’élargisse la réflexion ou bien que je trouve une chute, mais je ne sais trop quoi vous dire, des passages de frontières vous devez connaître et vous pourriez tout aussi bien continuer sans moi

(à vous)

mardi 6 mai 2014

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