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virginie gautier

Ravie de faire une place et laisser s’étendre dans le Maquis les Jungles de Virginie Gautier, dépaysement dépaysement !
L’occasion peut-être pour vous de découvrir un bien beau travail, sur son site.

Mais avant tout, voici quelques mots de Virginie sur le contexte des Jungles  : " Mon intérêt renouvelé pour les friches urbaines, les espaces vacants.
Et aussi la découverte d’un article dans le Courrier International sur le Lower Ninth Ward de New Orleans, qu’une végétation exubérante post-traumatique (katherina) a envahi, et qui est difficile à maîtriser. Du coup, j’ai entamé cet été une série de photos sur les débordements de la nature autour de chez moi, en Seine Saint Denis.
Ceci nourrissant cela et cela ceci, le texte s’est écrit — que je voulais terminer en plongeon, un hommage à Boutès (P.Quignard), celui qui se jette à l’eau, qui entre dans la sauvagerie. L’imprudent."

Alors place place !


Les Jungles

Se perdre dans les jungles. Jongler avec les détours. Pendant que d’autres chemins sont encore possibles, s’enfoncer. Bien que d’autres chemins chaque fois disparaissent, sont repoussés plus loin. Plus loin c’est-à-dire plus proches, les jungles. S’enfoncer.

Ou rester aux lisières. Attendre. Temporiser. Mieux vaut peut-être les regarder d’ici, ne pas outrepasser. Ne pas passer outre la frontière magnétique. Les jungles du quand-vous-n’y-êtes-pas. Du comme-si-vous-aviez-disparu. Sur cette terre, les jungles. Sans vous. L’empreinte de votre pas effacé par la végétation. Les essences rampantes, une profusion d’avant. D’avant, vous l’avez dit déjà, une profusion rare, jamais vue franchement inquiétante. Les jungles. Dès lors. Votre pas aussitôt recouvert. Les marches d’une maison, un perron, engloutis. Une fenêtre prise recto verso, ou transpercée. Les jungles occultent-elles déjà votre horizon ? Ont-elles créé un avant et un après ? Après votre disparition, ils reprennent du terrain les oiseaux les reptiles. Un alligator même paraît-il. En pleine ville. En pleine ville les jungles envahissent d’abord les quartiers populaires, plus sauvages forcément. Si vous habitez sur d’anciens marais. Une zone inondable. Si vous avez sur un terrain vierge posé votre caravane. Dès lors, un couple d’alligators. Votre effacement mis en scène, le long d’un mur. Autour d’un panneau de basket. Ballon pris dans les jungles, s’enfonçant doucement. Prennent leur temps poussent ferme. Ne vous fiez pas à cette paresse. À ce lent écoulement de lianes, à cette montée lascive de sève. Les jungles poussent ferme. Vous poussent fermement dans vos retranchements. Vous habitez quelque quartier périphérique, annexé dernièrement au reste de la ville ? Vous avez pris refuge sur un bord d’autoroute, sous un pont ? À l’abri d’une digue ? Ce que c’est que d’être cerné, assiégé par les herbes. Pris dans un entrelacs de racines. Vous êtes à l’affût. Vous voyez approcher peu à peu les lisières, vous faites des détours, contournez, de plus en plus près. Au plus près les grimpantes. Centimètre par centimètre, elles progressent, enflent, fleurissent. S’étendent. Dissimulent une population animale plus sauvage forcément. Plongez votre regard sous ces allures d’écorces, ces carnations bariolées, ces épidermes changeants. Une profusion rare franchement inquiétante. Voyez comme elles rampent, plantes ou bêtes.

Tubercules, abdomens. Que ce soit elles qui approchent c’est une chose certaine. Les jungles, elles vous reprennent du terrain. Hypnotique paysage du bientôt-vous-n’y-serez-plus. À force. De forcer le passage. À force de vous tourner autour. Cet encerclement, ça vous rappelle quelque chose ? Quelque chose d’enfoui. D’avant, vous l’avez dit déjà, avant que ça entre dans votre maison. Pendant que ça sort de terre. Pendant que ça grimpe, pousse votre porte. Pendant que ça s’approche, intimement, ça vous transforme. Ça touche à tout les jungles. Les balustrades d’un balcon. Une porte-fenêtre, une chambre. Un lit, vous y êtes. Ça s’insinue sous vos vêtements, sous votre peau. Pendant que vous cherchez à atteindre des souvenirs lointains, plus enfouis. Plus profonds. Ça rampe dans les couches obscures de votre mémoire. Vous habitez un quartier repris par les jungles ? Une zone désertée par ses habitants ? Vous y êtes. Vous êtes dedans. Dans des lumières de chlorophylle. Au milieu du cercle magique. Rattrapé par les mousses, les algues. Les lichens. Pénétré par les jungles. Dessous c’est un marais, un bayou. Vous y êtes. Vous êtes Chaman alligator. Revenu. Impatient. Vous vous penchez résolument. Vous rampez vers les jungles, vous plongez. Vous plongez.

Virginie Gautier

Photographies tirées de l’article “Jungleland”, New York Times


Vous pouvez bien sûr lire mon texte chez elle, sur son blog (et là aussi ça dépayse)

.... pour la liste complète des vases, merci qui merci Brigitte !

jeudi 6 septembre 2012, par Juliette Mézenc

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