28 Août
Rêve # 7
Tu te vois devant toi et tu te dis : c’est la première fois que je me vois dans un rêve, comme ça, à distance. Tu te vois devant toi dans une espèce de cave, immense, dont les limites se perdent dans l’obscurité. Rien qu’un pan de mur, en béton, pas loin. Il y souffle un vent froid et humide et tu sais que tu es derrière une de ces portes, aujourd’hui condamnées, qui s’ouvraient il y a longtemps sur les cellules d’un lazaret réparties aux deux extrémités de l’arc de cercle première génération, au-dessous de chaque musoir. En même temps, tu voyais pas ça si grand mais tu sais que les rêves se foutent des dimensions, les distances s’y dilatent et s’y rétractent à volonté. Tu es nue et tu trembles, tu voudrais te rapprocher de toi mais c’est impossible, comme une vitre sans tain entre vous. Je suis curieux de la suite. Tu te dis qu’il faut en sortir avant que ce ne soit trop tard, le lieu ne t’inspire rien de bon, et moi je dis qu’est-ce que tu attends, file, profites-en puisque tu n’y es pas encore, pas vraiment, puisque tu te tiens en arrière, en arrière du rêve, qu’est-ce que tu attends, tu peux encore en sortir si tu n’es pas tout à fait celle qui tremble devant toi, bouge, mais une fois encore quelque chose te pousse à poursuivre, l’odeur peut-être que tu as toujours adorée, cette odeur douceâtre de cave, béton et humidité mêlés, et moi je suis. On se comprend. Tu avances alors dans ton rêve, je suis le mur en béton que tu aperçois sur ta droite, teneur minimale en liant équivalent : 350 kg/m3, tu es maintenant en plein dans le rêve, en plein centre, suis ce pan de mur, prise en compte de l’exposition du béton à l’air et à l’humidité : corrosion induite par carbonatation XC1, XC2, XC3, XC4, il est pas fait pour toi mais il a ses qualités, suis-le, tu sens et entrevois des bouts de fer rouillés sous tes pieds, le vent forcit, tu dois te courber pour avancer, et là tu vois, posé à même le sol de béton, un moulin miniature, un jouet pour enfant peut-être, ses ailes tournent comme dans la chanson, ses ailes tournent et détournent ta peur, tu te penches et approches ta main, effleures les ailes. A ce moment-là : un souffle. Tu es violemment déportée, projetée contre le mur, ciment de caractéristique complémentaire PM, reste plaquée contre le mur, classes d’exposition : XS3/XC2, enfonce-toi dans le mur, classes de résistance minimale : C 35/45. Vent contre lames. Tu vois l’acier rapide. L’instant d’après tu te vois, au centre d’une pièce vide : découpée en lamelles fines, tu le sais aux longues lignes continues et parallèles qui parcourent ton corps de haut en bas. Le corps reste un moment entier, du sang commencent à perler très doucement et très lentement, des plaies, c’est très beau et très étrange, comme un charme. Et puis d’un coup ton corps devant nous en tranches qui se partagent. S’écartent. Mais déjà tu t’enfuis, tu cours, tu cours pendant des jours et pendant des années et soudain du fer t’arrête, tu hurles, tu gesticules, tu t’agites contre, tu hurles, tu es malade de peur, tu me fatigues, je me sens vieux et fatigué et aussi un petit peu agacé, tu appelles ta mère rien n’y fait, au bout de ton souffle tu arrêtes, et tu ouvres les yeux, alléluia. Contre ta poitrine se presse une échelle aux barreaux en acier eutectoïde, 0,77 % de carbone. Tu montes. Tu débouches sur un petit surplomb qui longe le mur. Tu fais quelques pas incertains et tu tombes sur une autre échelle. Tu montes. A nouveau un surplomb, à nouveau une échelle. Tu ne comptes plus le nombre d’échelles. Tu sais : c’est par de telles échelles que je dois quitter ce lieu de tant de mal.
Un jour tu parviens devant une grille. Au milieu, comme en évidence, un loquet, tout bête. Tu tournes, c’est ouvert. Tu te retrouves dehors, sur le musoir Ouest, à revoir les étoiles. Il fait frais.
samedi 29 octobre 2011, par