Jalwigi est italien.
En fait son père était italien. Jalwigi est né en France, il ne parle pas italien.
Le père de Jalwigi est venu d’Italie travailler au port comme grutier.
En fait il n’aimait pas travailler comme grutier, à cause de ses vertiges. Il est devenu camionneur.
Lorsque Jalwigi a quitté l’école il est devenu lui aussi camionneur.
En fait il n’aimait pas travailler avec les poids lourds.
Presque immédiatement, il a commencé à fabriquer des tielles. Une tourte italienne, une spécialité de la ville.
En fait c’est sa femme SeSe qui fabrique les tielles.
Ils se sont mariés très jeunes. SeSe était une amie d’école. C’est elle qui s’occupe de la fabrication des tielles.
En fait, Jalwigi préfère être anarchiste.
On le trouve, jour du marché, au bar Les Deux Assassins. Il porte un chapeau noir avec un bord large.
Cache visage.
Une grande cape noire.
Ombrageux, louche.
Des bottes noires italiennes.
Dans sa poche, un stylet italien, super silencieux. Sur le haut du bras, un tatouage du visage de Caserio. Et sur la vitrine du bar, il a peint un portrait de l’assassin bien connu dans la ville. Un portrait à partir d’une photo de Caserio prise lors de ses derniers moments sous la guillotine.
En fait Jalwigi a acheté son stylet dans la coutellerie où Caserio avait acheté le sien. La coutellerie existe encore. Jalwigi n’a jamais tué personne. Avec son stylet super silencieux, il coupe la saucisse cuite par Jajojo dans un réchaud sur le trottoir du bar Les Deux Assassins. A huit heures du matin, c’est l’heure du déjeuner pour les marchands. Petit déjeuner pour Jalwigi.
En fait Jajojo avait été récemment arrêté et enfermé à la prison car il n’avait pas l’autorisation de cuisiner sur la place publique. Normalement la police ne s’occupe pas des petites infractions comme ça, mais Jajojo n’avait pas été dans la même école qu’eux. Il est étranger. Il a passé sa jeunesse à la campagne. Les policiers n’aiment pas les paysans. Ils sont sales. Ils sentent mauvais.
Les policiers se moquent de Jalwigi quand ils le voient manger son petit déjeuner. Ils lui demandent s’il a tué quelqu’un récemment avec son beau sylet. Sa réponse, toujours la même, est qu’il va tuer le Président de la République.
En fait, Jalwigi aurait tué tous les Présidents de la République de ces quarante dernières années. Mais c’est seulement des saucisses qui ont été coupées. Jalwigi commande des coups de rouge pour les policiers. Ses amis d’école. Et autour de la table ils bavardent ensemble.
Ils bavardent jusqu’à
Jusqu’à ce que
La femme de Jalwigi arrive
SeSe arrive
Elle est grande, droite sur ses talons. Elle porte une combinaison italienne, très chic, nette. Elle regarde les policiers. Ils arrêtent de bavarder. Ils se lèvent et s’éloignent de la table.
Elle fait un petit sourire en disant oui de la tête. Elle prend sa place à côté de Jalwigi. Commande un thé vert.
En fait SeSe est une amie de longue date du chef de la police. Quand elle sourit, les policiers reculent. Elle est Tchétchène.
En fait SeSe est française mais elle est née en Tchétchénie. En tête à tête elle parle avec Jalwigi.
Conspirateurs.
Jalwigi rit. Il nettoie son stylet super silencieux, ferme la lame, et le remet dans sa poche. SeSe dit à Jalwigi, à haute voix, avec un regard insistant aux policiers, que peut-être ils pourraient aller rendre visite au pauvre Jajojo en prison
Les policiers ont disparu dans la foule.
Au marché de la semaine d’après, Jajojo a bien travaillé. Jalwigi a bien mangé. Il est rassasié. Il fait basculer sa chaise contre la vitrine du bar Les Deux Assassins. Il regarde le monde qui passe devant lui. Il sourit. Tout va bien. Tout est en ordre. Le marché pour lui est une expérience ennoblissante. A l’intérieur du bar, les policiers bavardent, ils boivent des coups de rouge. Jajojo les attend. Jalwigi ferme les yeux.
Quand Jalwigi ouvre les yeux, assis en face de lui, il trouve un homme, à la table, tout de noir vêtu. Il regard Jalwigi avec un regard fixe et dur. Jalwigi redresse sa chaise et lui rend son regard.
En fait, l’homme, à l’image de Caserio, pâle, cheveux courts, mal rasé. Jalwigi ne peut pas en croire ses yeux.
Les policiers, qui assistent à la rencontre à travers la vitrine du bar, non plus.
Sur la table, l’homme met un stylet en tous points identique à celui de Jalwigi.
Jalwigi le regarde longuement. Il ne peut pas en croire ses yeux.
L’homme se lève et prend Jalwigi par le bras et ensemble, bras dessus bras dessous, ils marchent vers la place principale.
En fait l’homme serre le bras de Jalwigi et le guide comme il veut. Avec sa main libre, Jalwigi serre très fort son stylet dans sa poche
L’homme murmure dans l’oreille de Jalwigi et lui demande
s’il connait son nom,
s’il connait sa famille,
s’il sait qu’il appartient à une des grandes familles de la ville.
S’il sait qu’il existe un problème entre eux.
Les policiers se cachent sous l’ombre des arbres. Ils murmurent dans leurs talkies-walkies.
Sur la place principale, Jalwigi et l’homme s’arrêtent devant une grande maison de ville. Par les fenêtres, SeSe est visible. Elle travaille. Elle fait des tielles. Elle écrit des notes. Elle parle sur son portable. Elle sourit.
L’homme tire Jalwigi fort par le bras et ils entrent dans la maison sans invitation.
SeSe sourit quand ils entrent dans sa cuisine. Elle a préparé la table.
Une nappe blanche de lin et dentelle.
Au centre un chandelier, à trois branches, en argent.
Une bouteille de rouge, ouverte.
Quatre verres de cristal.
Quatre beaux stylets, super silencieux, italiens.
Quatre assiettes, autour d’une grande tielle.
Apéro.
SeSe sourit et offre son portable à l’homme et demande à ce qu’il parle à sa femme. Sa femme, LeLe, lui dit qu’elle travaille, elle fait des tielles, elle écrit des notes, elle parle sur son portable mais elle va arriver, tout de suite.
Quand LeLe arrive, elle sourit ; les quatre s’asseyent et LeLe présente son mari Jasanté, l’homme.
Avec les beaux stylets, super silencieux, italiens, tout le monde coupe un morceau de tielle et le mange. Bon appétit.
Avec un grand sourire, Jalwigi verse à chacun un coup de rouge. Santé à tout le monde.
Anarcho-syndicalistes : fabricants de tielles.
A l’extérieur, les policiers, dans l’ombre, regardent la fête... à travers les fenêtres.
John Skinner
samedi 30 avril 2011, par